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Il était une Voix...

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Photo du rédacteurBarbara

Le mouvement vocal entravé (extrait mémoire)

La notion de mouvement est présente dans la définition de l’émotion, comme pour définir le geste vocal. Émotion, du latin e-movere signifie «hors de» et ‘motion’ veut dire «mouvement, action de se mouvoir». La voix est « initialement mouvement d’un corps vers un autre corps, afin qu’il l’entende. - Castarède et Konopczynski.

Le Silence, Odilon Redon


QUAND LE CORPS ET L’EMOTION ENTRAVENT LA VOIX

Quand l’émotion est retenue, figée, incapable de sortir elle s’exprime dans le corps qui se bloque et se crispe: la gorge, le diaphragme, le plexus solaire, le bas du ventre. L’émotion peut engendrer une tension, une souffrance qui agit sur les muscles qui se contractent pour «contenir» la sensation exactement comme ils le feraient pour supporter un fardeau (dans notre monde intérieur) et c’est aussi une charge qui exerce une pression vers l'extérieur pour se dégager. - F. Barrage et P. Laleaouse

À l’intensité de l’émotion correspond une modification du tonus musculaire qui entraînera consécutivement une modification de l’intensité de l’activité phonatoire et articulatoire: la désorganisation de la coordination neuro-musculaire a des répercussions sur l’intensité, la hauteur, le contour d’intonation, le débit, la précision de l’articulation et le rythme dans la phrase.

Claire Pillot-Loiseau qui a travaillé sur les émotions et la voix a relevé de nombreuses similitudes dans la réponse vocale associée à une émotion précise.


Tension, effondrement de la posture, respiration anarchique, crispée, fonctionnement hypo- ou hypertonique du larynx et du conduit vocal... Bref, lorsque le tonus musculaire est mal réparti, la synergie nécessaire à une bonne santé vocale est rompue: on parle de dysphonie.


La dysphonie

" La dysphonie est un trouble de la voix (enrouement, voix éraillée ou soufflée...) dont l’origine peut être lésionnelle (dysphonie organique) ou neurologique, et/ou dysfonctionnelle (dysphonie dysfonctionnelle). "(F. Le Huche)


La classification des dysphonies afin de les traiter le mieux possible présente bien des difficultés; la dysphonie est-elle organique ou fonctionnelle? Dûe à des tensions musculaires excessives? A un comportement musculaire et vocal inadapté? A un abus vocal? A des origines relevant de la sphère dite ‘psychique’? (‘psychique’ désignant communément l’ensemble des phénomènes mentaux: pensée, émotion, conscience...)


Quand la voix ‘fait mal’ , le cas du forçage vocal ou la dysphonie dysfonctionnelle hypertonique

En cas de forçage vocal, une personne ressent plus ou moins clairement une défaillance dans sa mécanique vocale. On peut communément observer chez les personnes qui en souffrent, des tensions laryngées accrues, une compensation posturale avec constriction du larynx, affaissement du thorax, flexion de la nuque et projection du visage vers l’avant. C'est ce que F. Le Huche et A. Allali appellent mécanisme de la voix d'instance. La conséquence d'une utilisation prolongée de ce comportement phonatoire est une fatigabilité vocale. (La voix: pathologie vocale d'origine fonctionnelle, F. Le Huche, A. Allali Paris Masson, 2001)


Giovanni et Aumelas caractérisent cette dysfonction par un excès de tensions laryngées (Le bilan d'une dysphonie, état actuel et perspectives Marseille, Solal, 2004) et Dupessey et Colombeau parlent également d'hyper-contraction laryngée pour la qualifier. (À l'écoute des voix pathologiques, Lyon, ed. Symétrie 2003)


"Le forçage vocal correspond à une augmentation des tensions mises en jeu lors de la phonation." (Giovanni)

On observe des restrictions de mouvement dans le corps entier. Ces tensions et modifications respiratoires et posturales entraînent toutes sortes de tensions ‘sympathiques’ ailleurs dans le corps par le mécanisme de transmission intermusculaire bien connu des kinésithérapeutes et ostéopathes. Les conséquences en sont des raideurs posturales et/ou des zones d'immobilité respiratoire. (Giovanni et coll. 2004)

La dysphonie dysfonctionnelle hyperkinétique peut-être due à l’origine à de nombreux facteurs: allergies passagères ou chroniques de la sphère ORL, exposition régulière à un environnement bruyant, mimétisme avec une personne dans l’entourage qui présente des symptômes de forçage vocal, lésion organique qui a provoqué un perte d’efficacité vocale et a mené au forçage...

La bonne synergie phonatoire est perturbée et la dysphonie peut s’installer durablement, provoquant une douleur morale (le sujet peine à s’exprimer, perd l’envie de communiquer) et/ou physique (la gorge est douloureuse, le corps s’épuise à produire un son de rendement médiocre, ce qui renforce le cercle vicieux).

Les conséquences sont d’autant plus pénibles pour les professionnels dont l’outil principal dans leur métier est la voix: les chanteurs et comédiens bien sûr, mais également les avocats, enseignants, politiques...


Reconnaissance professionnelle de la dysphonie psychogène: quand la sphère psychique est diagnostiquée cause principale de la dysphonie

La dysphonie, affectant la voix parlée ou chantée, peut signifier une impossibilité de s'extérioriser, de sortir de soi. - Sabrié et Rémy, 2012

Nous parlons de la dysphonie psychogène puisque cette pathologie est reconnue par les médecins phoniatres et spécialistes de la voix et témoigne d'une certaine reconnaissance professionnelle de l’influence de la sphère psychique sur la voix.

La dysphonie psychique ou psychogène est décrite comme l’altération ou la disparition de la voix sans cause anatomique ou neurologique (larynx non endommagé) et où des facteurs psychiques chez la personne souffrant de cette affection sous-tendent très favorablement ce diagnostic.


Différentes théories tentant d’élucider le lien entre la voix et la sphère ‘psychique’ dans les dysphonies psychogènes

Margaret Jacobs (Spécialiste des pathologies vocales de la personne âgée au Canberra Hospital) synthétise ainsi les théories autour de la dysphonie psychogène:


Les premières théories de la dysphonie/aphonie hystérique

-Pulsions sexuelles et agressives inconscientes (Freud, 1905) -Mémoire d’événements traumatiques: pensées, ressentis et sensations ‘désagrégées’ (Janet, 1907)

Théories plus récentes

-Expression symbolique d’un conflit interne -Conflit de l’expression de soi (Conflict over speaking out (COSO) House and Andrews 1987-1988) -Dilemmes non résolus (Hatcher & House 2003)

Théories contemporaines

-Conflits interpersonnels- famille et travail (Andersson et Schalen, 1998) -Difficultés avec l’assertivité: répression consciente des émotions négatives (Butcher, Elias et al. 1993) -Difficulté dans la gestion des émotions (Baker, et al, 2007-2008, Baker et Lane, 2009)

Théorie émergente

Le concept du ‘soi’ prend dorénavant une place plus importante dans l’appréhension de cette affection.

La dysphonie psychogène favorisée par une altération dans la perception de soi?

Margaret Jacobs perçoit la désorganisation du fonctionnement vocal comme un symptôme de dysfonctionnement et de dissociation de soi. Elle remet en contexte la difficulté à parler à partir de soi et à intégrer son ressenti et ses émotions, en permettant la verbalisation de l'expérience, en identifiant et transformant les traumas et en les reliant au ressenti actuel.


Il s'opère alors une mise en lumière des mécanismes de défense et du mécanisme (souvent inconscient) de sur-adaptation à autrui-afin de recevoir l’attention et de maintenir l’attachement ressentis comme indispensable à la survie. (Brandchaft 1994; Brandchaft 2007; Brandchaft, Doctors et al. 2010)


Développer dans nos relations aux autres cette sensation même de soi -dont parle également le neurologue des émotions A. Damasio- et procéder au traitement de mémoires traumatiques seraient des pistes de plus en plus valables dans le traitement des dysphonies psychogènes (Hobson 1985; Meares 2000; 2004; 2005)


«Dysphonie dysfonctionnelle» ou «mal de voix» au coeur de notre corps comme au coeur de nos émotions

La qualification et l’existence d’un classement comme la dysphonie psychogène indique bien comme les thérapeutes et spécialistes de la voix contemporains reconnaissent le lien étroit entre émotions et voix.

Margaret Jacobs semble percevoir la dysphonie psychogène comme une désagrégation du sentiment même de soi.

Désagrégation de soi, répression des émotions...

La répression des émotions signifie-t-elle un manque de reconnaissance de son propre vécu et donc une perception altérée de soi, une 'désagrégation' de soi? S’agit-il d’une histoire de différence de points de vue? De sensibilités? D’évolution des sciences neurologiques? La question est complexe et échappe à toute réponse définie, mais on peut en émettre l'hypothèse.

Quoiqu'il en soit, «Pour une vraie résolution (de la dysphonie psychique), il y aura nécessité d’explorer et d’aborder les facteurs prédisposant, précipitant et perpétuant des problématiques émotionnelles.»

(Baker, 2002)


Caire Pillot-Loiseau a étudié l’impact des émotions sur la voix parlée et chantée auprès de 200 sujets. Chez ceux qui avaient effectué une rééducation vocale, les émotions ont pu être amadouées pour qu’elles n’envahissent pas le fonctionnement vocal:

Tous les sujets ayant bénéficié d’une rééducation vocale affirment avoir été aidés pour gérer leur voix parlée par rapport à leurs émotions, notamment par la prise de conscience et la reconnaissance de celles-ci. Quelques pistes rééducatives, dont certaines ont été avancées par A.Osta (2009) peuvent être dégagées de ces observations: réhabilitation des moyens expressifs, réétalonnage des sensibilités internes, détection et compréhension des émotions, revalorisation narcissique, reconnaissance, identité, et richesse de la personnalité.»

(Voix, émotions, rééducation: un lieu de réciprocité, Claire Pillot-Loiseau, Laboratoire de Phonétique et phonologie (UMR 7018) CNRS/Sorbonne Nouvelle Paris, 2012 Congrès de la SFP, Société Française de Phonatrie)


Partant de là, quel(s) chemin(s) prendre pour se ré-accorder avec sa propre voix et retrouver une liberté vocale?

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